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Leopold Djogbédé

Communauté de Sant'Egidio, Benin
 biographie

Je suis très heureux de me retrouver à ce panel avec tous ces illustres intervenants venus  des diverses extrémités du monde. Je le suis encore plus  à cause de cette grande occasion qui m’est offerte de m’exprimer et de partager avec vous le regard d’un jeune chrétien africain comme moi sur ce thème intéressant : Chercher Dieu pour retrouver l’homme.
A première vue le thème parait un peu philosophique surtout pour nous africains chez qui pendant longtemps, dans le passé, Dieu a paru si lointain et l’homme si proche. Dans les religions endogènes en Afrique et notamment au Bénin d’où je viens en effet, les dieux se retrouvent dans les phénomènes naturels jugés lointains, extraordinaires par rapport à l’intelligence humaine, difficilement saisissables. Et, même pour les chrétiens, en dépit du fait que Dieu notre Père est tutoyé dans les prières usuelles, il restait néanmoins assez éloigné dans le quotidien. Par contre l’homme était si proche par la solidarité africaine d’antan. C’est pour cela que chercher Dieu pour retrouver l’homme pouvait paraitre philosophique.
Cependant les réalités ont beaucoup changé avec le temps car il y a eu tant de mutations sociales, économiques et même religieuses au sein des sociétés africaines.  Ce changement semble inverser la réalité d’autrefois que je viens de décrire. Aujourd’hui, à l’apparence, en Afrique c’est plutôt Dieu que l’on trouve si proche et l’homme qui s’éloigne chaque jour. Il y a apparemment de plus en plus de croyants en Afrique, de nouvelles églises qui naissent et qui font accepter la présence concrète de Dieu qui agit en réalisant des miracles, des guérisons de malades. Mais de l’autre côté, le frère pauvre de la rue n’est plus vu, la personne âgée, dont l’âge fait peur au lieu de faire réjouir, est devenue le démon, le sorcier qui constitue l’ennemi que le croyant doit vaincre, et l’homme s’éloigne de plus en plus de l’homme.
Mais fort heureusement moi, en tant que jeune chrétien, avec d’autres amis, à travers la rencontre avec la Communauté de Sant’Egidio, j’ai compris autrement la recherche de Dieu. J’ai commencé à changer de perspective. Chercher Dieu pour moi aujourd’hui est découvrir en l’homme et en la femme des amis et non faire  d’eux des ennemis ou des rivaux. En chaque homme, il y a une image de Dieu. Dieu dit « faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance » nous dit le Livre de la Genèse. Alors qui rencontre Dieu trouve inéluctablement sur son chemin le frère ou la sœur et la Communauté nait. La lecture de la Bible m’aide à comprendre ce lien très étroit entre Dieu et l’homme. On lit dans la deuxième épitre de l’apôtre Jean que « si quelqu’un dit : j’aime Dieu et qu’il déteste son frère, c’est un menteur, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer le Dieu qu’il ne voit pas ». En recherchant l’amour de Dieu, on se rend compte qu’il faut aimer les autres. C’est un don qui vient de Dieu et par conséquent on ne peut le garder pour soi.
Nous avons compris qu’il faut le laisser œuvrer selon toute sa puissance libératrice. Eu égard à cela, pour nous jeunes chrétiens africains, rencontrer Dieu aujourd’hui veut dire se libérer de tant d’habitudes et de cultures qui empêchent de rencontrer les autres et d’aller à la rencontre des frères et des sœurs surtout ceux qui sont faibles et pauvres et qui sont plus dans le besoin. Chercher Dieu pour nous c’est donc aussi et surtout libérer l’homme et la femme de la chaîne de souffrance qui emprisonne leur vie. Je reste toujours si touché par la lecture du troisième chapitre des Actes des Apôtres où Pierre et Jean à la porte du temple dite « la belle », à Jérusalem, face à l’impotent qui leur avait demandé l’aumône, contre toute attente, offrirent à celui-ci un regard. « Regarde-nous », lui dit Pierre  avant de compléter, « De l’argent et de l’or je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus le Nazoréen, marche ! ». Il l’a saisi par la main et cet impotent a pu se lever  d’un bond. Le nom puissant de Jésus, le nom de Dieu, s’est associé là à la main qui lève, qui accueille. La rencontre avec Dieu en effet nous fait accueillir les autres. Autrement, on ne peut penser qu’offrir de l’or ou de l’argent.
En réalité lorsque nous ne levons pas les yeux pour voir le monde autour de nous, nous devenons esclaves de l’argent et de l’or. Malheureusement nous vivons encore sous ce qu’Andrea Riccardi a appelé à juste titre la « dictature du matérialisme ». Aujourd’hui la globalisation a rendu l’homme et la femme africains très semblables aux autres et ce qui compte désormais c’est « moi et moi seul». Facebook, Tweeter et autres feignent de nous rapprocher car nous mettent dans l’illusion d’un monde d’amis. On a l’impression d’avoir des amis, de communiquer avec les autres alors qu’il s’agit en réalité comme  l’a bien dit le sociologue Philippe Breton, d’une « incommunication », c’est-à-dire l’illusion d’une communication. La preuve est que ce sont encore ces outils de communication qui sont les instruments les plus utilisés par la jeunesse africaine aujourd’hui pour arnaquer les plus riches, en demandant de l’argent à travers des mail, avec à la clé un discours de division entre Africains et Européens. Ces derniers étant considérés comme des anciens colons ayant grugé l’Afrique et à qui il faut rendre la monnaie aujourd’hui.
La forte solidarité africaine s’effrite donc  de plus en plus. Dans certaines grandes agglomérations africaines aujourd’hui, lorsque vous êtes victimes d’un accident, au lieu de vous secourir, les premiers venus s’occupent d’abord à vous vider les poches. Il y a comme une obsession de l’argent qui rend tristes les gens et les téléguide vers une recherche toujours plus accrue d’une satisfaction matérielle qui en réalité reste toujours insatiable. Et ainsi, on marche comme les yeux contre terre, on ne peut plus lever les yeux pour voir l’autre. On est prêt à tout pour l’argent. On est prêt à la violence, à l’insurrection, au racisme pourvu qu’en conséquence on ait quelque chose en retour.
Mais moi, avec la Communauté de Sant’Egidio, j’ai eu la chance de recevoir le courage d’un nouvel humanisme. Et le premier rendez-vous de cet humanisme c’est celui avec les plus pauvres, les hommes et les femmes que personne ne rencontre. Cet humanisme est devenu pour moi une culture vécue dans un sens évangélique. Jean Paul II disait justement que la foi doit être culture. C’est pour cela qu’à la Communauté, notre foi est devenue une culture de la rencontre quotidienne de l’autre, de la protection de la dignité de l’homme et de la femme qui vivent avec nous surtout les plus pauvres. C’est le scandale de la gratuité dans un monde matérialiste. La gratuité est devenue notre signe distinctif. Elle fait de nous des chrétiens joyeux dans la rencontre quotidienne avec Dieu.
Malheureusement beaucoup de chrétiens africains se pensent si pauvres qu’ils ne peuvent aider les autres. En réalité, les chrétiens africains aujourd’hui sont très peu amis des pauvres. Mais le dialogue avec Dieu à travers la lecture de la Parole et la prière, nous fait découvrir le frère qui a faim ou qui n’est pas vêtu. La Bible en effet transforme notre cœur et le rend sensible à la situation difficile du frère et de la sœur. Elle est, comme le souligne si bien Olivier Clément, « …la source du désir irrépressible d’une humanité non humiliée…. ». La rencontre avec Dieu nous fait retrouver l’homme comme frère à aimer et à sauver de la misère. Autrement, il y a le grand risque de la division, du terrorisme et de la guerre.
La tuerie des mineurs de Marikana en Afrique du Sud le mois dernier a justement suscité et réveillé en tous le passé douloureux de l’apartheid qu’a connu ce pays. Il y a véritablement besoin de lever les yeux et de rencontrer le monde autour de nous. C’est notre expérience, c’est l’expérience des jeunes de nos Communautés en Afrique où nous sommes devenus une nouvelle famille pour les enfants de la rue, les enfants démunis, les personnes âgées taxées de sorcières et rejetées, les prisonniers et toutes les personnes faibles et sans défense. Toutes ces personnes ont retrouvé un nouveau sens à leur vie. Elles se sentent aimées, sont rencontrées quotidiennement. C’est cela le chemin de la paix, c’est le chemin d’un monde meilleur avec un visage plus beau. C’est le gage d’un monde d’espérance, d’un monde de jeunes qui ont des rêves. La Maison de la Communauté au Bénin s’appelle la Maison du rêve, comme on l’a entendu dans la présentation du modérateur au début. C’est une maison qui accueille une centaine d’enfants de la rue de 7 à 18 ans qui sont sans abris et qui travaillent pour survivre. A la Maison du rêve, ils ont retrouvé une nouvelle famille, une nouvelle maison où ils se lavent, lavent leurs vêtements, mangent, jouent et se reposent. Cette nouvelle vie plus saine, fait naître de nouveaux rêves, l’espoir renait, la vie reprend un nouveau sens, des nouveaux projets de vie sont établis. Et nombreux sont déjà ceux d’entre eux qui ont commencé un apprentissage ou ont repris le chemin de l’école. C’est cette belle histoire d’amour que nous avons partagée avec le Pape Benoit XVI lors de sa visite et Bénin. Et nous encourageant, il disait qu’en effet, « il ya besoin de rêver». La lueur de ce rêve qui nait et grandit, est le fruit du travail merveilleux fait par de jeunes chrétiens de la Communauté qui sont élèves, lycéens, chômeurs et travailleurs qui ont retrouvé la joie et la beauté d’être chrétien. Tous, nous nous sommes aperçus que par la rencontre avec Dieu surgit l’espoir d’une vie plus humaine et d’un monde plus beau. C’est ce rêve que nous partageons avec tous. Voilà la belle expérience de la rencontre avec Dieu que nous faisons par les hommes et avec les hommes.
Je vous remercie pour votre aimable attention.