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François Clavairoly

Président de la Fédération protestante de France
 biographie

La question du racisme est vieille comme le monde.

Peut-on parler d’un retour du racisme, comme nous parlerions du retour d’une maladie oubliée ou d’un malheur que nous redouterions et qui se reproduirait presque accidentellement comme une épidémie ou une guerre entre nations ennemies ?

Je ne le crois pas.
Le racisme est une réalité anthropologique ancrée dans les cultures et les esprits. Certes le mot a été mis en circulation tardivement, et sa compréhension soi-disant scientifique, telle que le XIXe siècle l’a développée, a été la cause d’horribles effets. Mais la réalité renvoie à des conceptions bien plus anciennes et à des modalités ou des traductions sociales très diverses. De l’Antiquité grecque ou romaine, de la vision très assurée des Grecs vis-à-vis des Barbares, jusqu’à l’antijudaïsme chrétien et païen du Moyen Âge qui synthétise bien des préjugés et des haines, le transformant peu à peu en antisémitisme, au temps des pogroms, du racialisme du XIXe et du XXe nazi, l’histoire du racisme ou des racismes est riche d’enseignement.
La phrase de Paul qui évoque le fait qu’en Christ il n’y a plus ni juif ni grec, ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, peut illustrer ce fait que les discriminations sont anciennes et tenaces, et qu’elles concernent des éléments constitutifs essentiels de l’humanité, à savoir notamment le mépris de l’origine ethnique, l’inégalité entre les genres et la ségrégation liée à la situation sociale. L’évangile, certes, ne sera pas une arme efficace dans l’immédiat de sa diffusion. Mais il répandra certainement peu à peu cette réflexion et cette spiritualité qui demandent de considérer l’autre différent non seulement avec compassion mais dans un esprit d’égalité.
Sans aucun doute, faut-il se redire ici que les idéaux des Lumières et leur traduction dans les différentes constitutions ou déclarations des Droits de l’Homme en Europe et aux États-Unis auront aidé les peuples à mettre en œuvre cette égalité, ce respect, cette nouvelle considération de l’autre différent comme un autre à aimer.
Je pense évidemment aux textes fondateurs comme celui du livre du Lévitique 19, et pas seulement le fameux verset 18 que Jésus reprendra dans ses propos, concernant l’amour du prochain comme soi-même, mais aussi et surtout au verset 34, curieusement oublié,  qui devrait inspirer de la même façon certains pays et certains gouvernements qui se disent démocratiques et qui sont directement concernés par la cohabitation avec des étrangers ou leur mauvaise considération : « l’étranger qui séjourne parmi vous sera pour vous comme l’un de vos compatriotes, et vous l’aimerez comme vous-mêmes, car vous avez été étrangers… ».
Aujourd’hui, une certaine parole politique a relayé sans honte les idées racistes. Par les discours et quelques tweets préparés et pensés dans cette perspective, des responsables de haut niveau diffusent non pas seulement des propos qu’on pourrait qualifier de caricaturaux ou risqués au plan du racisme, mais offrent l’idée aux citoyens qu’il est désormais possible d’exprimer de telles visions.
En France, une expression datant de quelques années disait ceci : « l’extrême droite dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ». Cette expression a fait son chemin dans les esprits. Et sans qu’il s’agisse de pensées politiques très élaborées, ces propos relayent malgré tout, des clichés, des préjugés, des idées préconçues. Le constat est aussi valable dans beaucoup de pays.
Deux supports majeurs contemporains servent de relai à la parole raciste et aux discours de haine : l’esprit du temps et la technique. L’esprit du temps qu’on nomme populisme (ce terme est insuffisant mais au moins il désigne quelques réalités de ce monde) et la technique liée aux réseaux sociaux. Ces deux supports qui servent de relai s’inscrivent bien évidemment dans un contexte, celui de la mondialisation, des tensions nouvelles entre nations, des changements que l’on voit poindre entre régions du monde, des crises de la représentation démocratique, de la peur du déclassement des middle class, des recompositions sociales et nationales des pays, des mutations religieuses qui accompagnent ces peurs.
Parmi beaucoup d’autres, des chercheurs ont étudié le phénomène de la résurgence du racisme. Michel Wieviorka est de ceux-là. Dans toute l'Europe, écrit-il, les années quatre-vingt-dix déjà ont été marquées par une inquiétante résurgence du racisme et de la xénophobie. Certes, dès qu'on y regarde de près, on observe que leurs manifestations concrètes varient considérablement d'un pays à l'autre : harcèlement et violences racistes en Grande-Bretagne, où en revanche l'extrême droite demeure groupusculaire : poussée meurtrière, xénophobe et raciste, et montée en puissance des droites radicales en Allemagne : populisme plus ou moins lesté de haine raciste et succès électoraux de la Ligue du Nord et des néo-fascistes du MSI (Mouvement Social Italien) en Italie, sans que la violence soit un fait majeur : contribution flagrante du racisme et de la xénophobie à la crise nationale belge et aux scores éloquents des nationalistes flamands du Vlaams Blok, là aussi sans manifestation massive de violence. L’idée de fond est qu’au-delà des spécificités de chaque pays, il existe une profonde unité européenne des processus et des logiques qui mènent à la haine, à la peur et à l'incapacité croissante à reconnaître et accepter l'altérité.
C’est donc bien à cette question de l’altérité que nos sociétés sont confrontées. Non pas seulement les individus mais les sociétés elles-mêmes. Or la reconnaissance de l’altérité, autrement dit l’acceptation de l’existence d’un « autre soi » demande d’avoir un « soi », comme l’écrit Ricœur.
Les sociétés européennes se cherchent chacune leur soi, de même qu’elles recherchent aussi un « nous » dans une Union européenne qui peine à exister, dans un temps de crise économique et sociale et dans un temps de remise en cause au plan religieux. Au plan mondial, les tensions et les lignes de concurrence renforcées par les protectionnismes contribuent aussi à considérer l’autre, les autres et parfois même tel peuple ou tel pays comme une menace. Ici, la responsabilité des politiques et des religieux est grande, autant que celle de chaque citoyen qui doit faire attention à ses propos, si vite relayés sur les réseaux sociaux, si vite amplifiés, si vite transformés en idée aux conséquences presque illimitées. 
Je voudrais illustrer ce propos par un exemple qui concerne plus particulièrement la question de l’antisémitisme. Je veux évoquer les résultats de plusieurs rencontres et notamment d’une rencontre récente qui a eu lieu à Paris le 27 juin, organisée par le Conseil œcuménique des Églises et le Comité Juif International pour les Consultations Interreligieuses. Il a été travaillé dans cette session, comme le dit le Secrétaire général du COE, Olav Tveit, les sujets liés à « la montée des mouvements nationalistes xénophobes dans une grande partie du monde, la méfiance à l’égard des objectifs des communautés et institutions religieuses, en particulier en Europe, la résurgence d’un antisémitisme déclaré, la prévalence de l’islamophobie, de nouvelles attitudes anti-chrétiennes, la non-résolution persistance du conflit israélo-palestinien, une hostilité envers les minorités vulnérables dans le monde entier et l’érosion frappante de la société civile dans de nombreux lieux et sous de nombreuses formes, etc. ».
Ces sujets sont devant nous. En France, La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme que présidait Mme Christine Lazerges, est convaincue que la lutte contre le racisme repose avant tout sur la déconstruction des préjugés et des idées préconçues. Un préjugé, même s’il peut a priori être perçu comme positif, peut cacher jalousie et ressentiment et se retourner contre le groupe auquel il s’applique, comme ceux associant les juifs à l’argent ou les Asiatiques au travail. Plusieurs manifestations récentes de racisme sont venues l’illustrer. La prochaine vague du baromètre nous dira si l’indice plafonne, ou s’il recule. On le sait, de nombreux facteurs peuvent intervenir sur son évolution à court et moyen terme. Le rôle de l’action publique, et plus largement la mobilisation de l’ensemble de la société, est déterminant pour promouvoir le « vivre » et le « faire » ensemble. 
Voici les informations communiquées par la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) sur le racisme en France.
Contrairement aux menaces, les actions comptabilisées sont en hausse, ce qui traduit une progression inquiétante de la violence raciste. 
Par ailleurs, si les menaces, qui représentent près des ¾ des actes comptabilisés, ont encore diminué cette année (-23%), les actions sont en hausse (+11%), traduisant une progression inquiétante de la violence raciste. 
Dans le détail, on constate que les actes antisémites baissent depuis 2014, avec encore un léger recul de 7 % au cours de l’année écoulée, pour un total de 311 faits (contre 335 en 2015), soit 214 menaces (-17 %) et 97 actions (+ 26 %). 
Les actes antimusulmans enregistrent une baisse globale de 35 % sur l’année écoulée, soit 121 faits (contre 185 en 2016) qui se répartissent en 72 actions (+8 %) et 49 menaces (-59 %). 
Les autres actes, réunis sous la catégorie générique « actes racistes », enregistrent une baisse de 15 %, pour atteindre un total de 518 faits (contre 608 en 2016), dont 85 actions (+1 %) et 433 menaces (-17 %). 
 
Évolution des actes racistes comptabilisés de 1993 à 2017 par le SCRT Source : ministère de l’Intérieur /SCRT, faits rapportés entrant dans le champ des « actions » et des « menaces ».
 
Le graphique montre une tendance générale à la hausse des actes racistes. Que cette hausse soit le résultat du fait de l’augmentation de la déclaration par les victimes, ce qui est positif, ou d’une hausse réelle, la situation reste très préoccupante. Il est probable que la situation soit sensiblement la même dans d’autres pays d’Europe, le débat est ouvert.