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Jean Mbarga

Katholischer Erzbischof, Kamerun
 biografie

 Miséricorde et histoire

 
La miséricorde s'épanouit dans l' histoire en un triple mouvement : le  mouvement vertical de haut en bas : Dieu vers l’homme ;  le mouvement vertical de bas en haut : l’homme vers Dieu ; et  le mouvement horizontal : l’homme vers l’homme. 
Il y a la miséricorde de Dieu. Il y a la miséricorde des hommes.
 
I. La miséricorde de Dieu
La miséricorde révèle la figure du Dieu recréateur : c’est la nouvelle création, l’amour recréé. Dieu nous a créés par amour, il  nous a sauvés et recréés par miséricorde. L’histoire du salut est l’histoire de la Miséricorde. C’est là qu’il faut aller puiser pour comprendre et accueillir la Miséricorde de Dieu. La Miséricorde est l’âme de l’histoire du salut. L’horizon de l’histoire de la Miséricorde de Dieu est l’avènement d’une nouvelle humanité.
L’histoire du salut offre des séquences, des interventions, des relations où Dieu déploie son amour recréateur pour que l’humanité reflète à nouveau l’image de Dieu qui est en elle.
D’Adam et d’Ève déchus jusqu’au Christ et l’Église en marche, Dieu décline sa miséricorde dans les différentes phases de la vie de l’humanité. Posons-nous quelques questions.
En tenant compte que l’histoire des hommes n’a pas cessé d’être une histoire de guerres et d’hostilité avec quelques éclaircis de paix et de prospérité que peut-on dire de cette histoire humaine de chocs des cultures, des civilisations et des diversités ; quelle a été  l’action recréatrice de Dieu ? 
Concrètement, comment peut-on reconnaître le Dieu recréateur dans l’histoire d’Israël depuis les origines jusqu’à nos jours ?
On peut dire que dans l’histoire du salut, la Miséricorde de Dieu est pédagogique et graduelle. Dieu recrée une humanité libre et en conversion, oscillant entre la fidélité et l’infidélité.
Cette transformation d’une humanité devenue infidèle appelée à la fidélité est l’art recréateur de Dieu et l’efficacité de sa Miséricorde.
La Miséricorde de Dieu recrée sans cesse l’homme sur le terreau de l’infidélité. Elle fait « vaincre le Mal par le bien »  (Rm 12, 2).
Face au Mal (péché) Dieu fait vaincre le Bien. En Afrique, on aime parler de la victoire de la vie sur la mort. C’est la dialectique de la Miséricorde. L’histoire des hommes s’est construite avec la force de la Miséricorde ; elle progresse vers la pleine victoire  de la communion avec Dieu. Tout retourne à Dieu.
Dans l’Ancien Testament, la Miséricorde divine est le don d’une terre, d’un pays ; elle est la formation d’un peuple, l’Exode. Elle est le scellage d’une alliance. Elle est l’avènement de la Royauté, le retour de l’exil, la prophétie.
C’est le Temple et l’Arche.
La Miséricorde est portée par le projet d’une société, libre, alliée de Dieu : « Je serai votre Dieu et vous, vous serez mon peuple » Lev 26, 12.
Dieu a suscité les patriarches, les juges, les rois, les prophètes comme acteurs d’une Miséricorde recréatrice et refondatrice.
L’étape décisive de cette Miséricorde recréatrice, c’est Jésus Christ et son avènement ; avec lui, c’est l’Assomption de l’humanité ; par lui, l’Église est la figure vivante et réelle de la Miséricorde divine.
Quelle est l’efficience de la Miséricorde de Dieu en Jésus-Christ ? 
L’activation de la Miséricorde de Dieu  en Jésus-Christ est marquée par l’avènement de l’Évangile, sagesse, lumière et Verbe de vie et de l’Église, comme société qui pérennise la mission de recréation du Christ. C’est l’avènement du  Royaume de Dieu que concrétisent les hommes en conversion, toujours dans le réalisme d’une dialectique de fidélité à l’infidélité.
 
 
II.   Miséricorde comme réponse de l’homme à Dieu
Dans la parabole de l’Enfant prodigue ( Lc 15,11s), belle parabole qui montre bien les trois dimensions de la Miséricorde : le Père qui accueille, le Fils qui revient vers son Père et le frère qui est invité par le Père à accueillir son frère. Ce cycle de la Miséricorde assume déjà la dialectique de fidélité à l’infidélité ; il assume aussi les responsabilités des acteurs ; la Miséricorde se vit dans un contexte de choix libres, avec ses conséquences.
La question de la réponse de l’homme à Dieu, c’est la possibilité du Retour vers la maison du Père, la préférence de la voie de la fidélité. 
°Du côté de l’homme vers Dieu, la voie de la Miséricorde, c’est accueillir l’appel de Dieu et étancher la soif d’aimer Dieu et la soif de vivre pleinement!
Toute l’histoire du salut met en scène Dieu qui s’ouvre à l’humanité et une humanité qui l’accueille ou lui tourne le dos. 
 
La Miséricorde de Dieu et la société
L’Église en ce sens, se veut une société qui accueille la Miséricorde de Dieu, qui y aspire et la désire ! Mais la société dans son ensemble peut-elle accueillir l’amour donné par Dieu ? 
En tout réalisme, en société, cet amour est accueilli par les croyants et les hommes de bonne volonté. La Miséricorde trouve son écho aujourd’hui, dans la défense et la promotion des droits de l’homme, des valeurs de justice  de paix et du vivre-ensemble.
Les hommes accueillent Dieu dans sa Miséricorde en Jésus-Christ, par la construction concrète d’une société humaine et humanisante.
Sur le plan historique, l’histoire des civilisations, dans sa progression graduelle, conquiert chaque fois plus d’humanisme intégral. Les grandes crises ont bien souvent inspiré les grandes réformes humanisantes.
La Miséricorde de Dieu est reconstructrice, recréatrice des hommes et des femmes, des sociétés et des civilisations par delà les guerres, les génocides, les brutalités et les abus humainement irréparables. Cette année, le monde et l’Afrique en particulier doivent pouvoir reconstruire les vies et les familles brisées par les violences à répétition.
La miséricorde n’est pas seulement un effacement d’un mal ; elle est le don d’un plus grand bien, le don de la vie. Cela veut dire : guérir, protéger, bénir ; en d’autres termes, sauver, renaître et faire fructifier l’homme. C’est cela la Miséricorde de Dieu accueillie par l’homme et par la société.
 
III.  La Miséricorde de Dieu : d’homme à homme, de peuple à peuple
La miséricorde des hommes recrée le monde selon le plan de Dieu.
Dans l’histoire, cette miséricorde se traduit en contrat social, en vivre-ensemble (Nation-famille, inter-nation, ONG,…), État, démocratie…corps intermédiaires) programmes de réflexion et d’action pour les valeurs humaines, la science et le développement, l’organisation sociale.
Mais il existe aussi l’opposition ou la contre-Miséricorde. Cette humanité renouvelée n’est pas désirée  par tous ; il y a des contre-valeurs, des forces d’opposition et de résistance, les forces de destruction à petite et à grande échelle. 
Dans ce contexte, la miséricorde des hommes est un combat pour une humanité renouvelée face aux forces ennemies des hommes.
L’histoire humaine est traversée par ces violences que sont les persécutions, les guerres, les injustices, les dictatures, les massacres, les déportations, les crimes contre l’humanité, bref les pratiques opposées aux valeurs fondamentales humaines du décalogue et de l’Évangile…
La miséricorde des hommes a appelé et appelle encore la purification de la mémoire, les réconciliations collectives et personnelles, les palabres africaines, les chartes ou les règles de conduite qui réaffirment les bases des nouvelles adhésions et des nouvelles options fondamentales, humaines et humanisantes. L’Afrique, blessée, devra trouver en cette année une opportunité de réconciliation, de renaissance et de paix retrouvées.
L’année de la Miséricorde nous convie à recréer la dynamique de la miséricorde des hommes qui fait en sorte que les hommes deviennent des recréateurs de vie et reconstruisent une Alliance entre eux. La prière attribue à S. François d’Assise en dit long à ce sujet : « Seigneur fais de nous de moi un instrument de paix …» 
Cette année de la Miséricorde appelle :
  • Comme le fit le peuple d’Israël à Sichem, une recréation de l’Alliance des hommes avec Dieu (Jos 24, 1s) : dépasser le passé pour un nouveau futur.
  • Une Alliance entre Dieu et les hommes, définie, confessée, priée, célébrée et vécue.
  • Nous proposons une profession de foi universelle en l’alliance avec l’homme pour renouveler  l’humanité  croyante et non croyante.
  • Comme dans la parabole de l’enfant prodigue, l’année de la miséricorde appelle la recréation de l’Alliance dans la famille humaine : Dépasser le passé, pour un nouveau futur. Ici pardonner ne veut pas dire oublier mais veut dire vivre une alliance nouvelle avec l’autre. Ce doit être une alliance entre les hommes définie, confessée, priée, célébrée et vécue.
  • Nous proposons  une profession de réconciliation internationale pour tous les hommes de bonne volonté.
 
Les adversaires ou la contre-miséricorde
Le Diable et ses suppôts, font la contre-miséricorde. Aujourd’hui, comme hier, l’humanité est déchirée. Les malfaiteurs opèrent et détruisent par la pensée, la parole, l’action et l’omission sur le plan personnel, interpersonnel et structurel. Le Mal est organisé, planifié, et déployé. C’est le « Nuire pour Nuire ». Un monde contre l’homme existe, autant qu’un monde contre Dieu.
Cette contre-humanité sème la contre-miséricorde, à tous les niveaux.
L’année de la Miséricorde, s’inscrit dans l’esprit du Livre de l’Apocalypse 12, 1s, il s’agit de combattre Satan, ses machinations et son orchestre de suppôts, pour la victoire et le Règne de Dieu, règne de justice, de paix et de développement intégral.
Les forces de lumière doivent combattre les forces des ténèbres.
La réalisation du plan de Dieu face aux adversaires de la miséricorde et aux ennemis de l’humanité est nécessaire.
Nous proposons, une profession de foi et d’engagement contre les forces du mal.
 
En conclusion 
La miséricorde est l’œuvre  recréatrice de Dieu par amour pour l’homme. Elle est sa seconde création ;  l’homme  doit y assumer aussi  la création continue en humanisant, selon le cœur de Dieu, l’histoire des hommes en face des forces adverses constituées et déchainées.
Cette année de la miséricorde appelle les alliés de Dieu à se  ressourcer à la miséricorde de Dieu par la réparation, la purification, la réconciliation et  la communion  pour une renaissance  des forces de la vie divine qui sont en l’homme.
Le chemin de la miséricorde passe aussi par la voie de la communion avec soi pour aimer l’autre et l’ennemi et pour donner victoire à l’amour de Dieu et à l’amour du prochain, de la famille et de la société. C’est une promesse de Dieu et notre mission pour qu’adviennent des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Cf. 2Pi 3, 13
Ainsi, en Afrique, après un Synode sur « le service de la réconciliation, la justice  et la paix » (Benoit XIV, Africae Munus, 2011), une année de la miséricorde vient consolider ce projet dans l’histoire du salut  en lui ouvrant la perspective de la recréation du monde africain.