Partager Sur

Jean-Arnold de Clermont

Pasteur de l’Eglise Réformée, France
 biographie
‘Au commencement était la Parole’ (Jn.1.1) ! Ainsi débute l’Evangile de Jean, réplique du premier verset du livre de la Genèse : ‘Au commencement… Dieu dit :’. L’ ‘extraordinaire’ du Dieu de la Bible c’est qu’il s’agit d’un Dieu qui parle. Je crois qu’il n’y a rien de plus important à faire découvrir à celui qui s’approche pour la première fois du texte biblique et veut en comprendre les défis et l’espérance dont elle est porteuse. Rien de plus important à se remémorer chaque jour, pour le chrétien qui veut que sa foi prenne sens pour sa vie.
Etre croyant, c’est entrer en dialogue avec ce Dieu de la Parole.
 
Parole créatrice, redonnant sens au monde qui nous entoure, défiant ceux qui veulent adorer soleil et lune pour s’en faire des alliés. Ils n’ont été placés dans le ciel qu’après la lumière issue de la Parole. 
Parole créatrice de toutes vies. 
Parole créatrice plaçant l’humain au cœur du projet divin.
 
Parole d’alliance avec Abram, où tout est donné à celui qui n’a rien, terre, descendance, bénédiction, par Celui qui a tout.
Parole d’alliance renouvelée avec Jacob, avec Moïse, avec David et Salomon, avec ce peuple parmi les peuples, que Dieu ne cesse d’aimer malgré toutes ses trahisons. 
 
Parole prophétique, de dénonciation, de condamnation et de pardon. Parole prophétique qui s’empare d’hommes et de femmes pour en faire la voix de Dieu qui cherche toujours à ramener le peuple dans un juste chemin. Parole si exigeante qu’elle est même rejetée par certains prophètes, comme Jonas qui fuit pour n’être pas porteur de mauvaises nouvelles et sera contraint contre son gré à reconnaitre la compassion de Dieu.
 
Parole libératrice : ‘Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob…J’ai bien vu l’affliction de mon peuple qui est en Egypte, et j’ai entendu les cris que lui font pousser ses tyrans ; je connais ses douleurs. Je suis descendu pour le délivrer…’. Parole d’un Dieu qui se fait proche.
 
‘Au commencement était la Parole. 
La Parole était auprès de Dieu. 
La Parole était Dieu….
Elle est venue chez elle…
La parole est devenue chaire ; 
elle a fait sa demeure parmi nous et nous avons vu sa gloire, 
une gloire de Fils unique issu du Père ; 
elle était pleine de grâce et de vérité.’. 
 
En Christ, la Parole créatrice, la Parole d’alliance, la Parole prophétique, la Parole libératrice, a ‘fait sa demeure parmi nous’ et elle y ‘demeure’. Ainsi le confirme la première prédication du temps de l’Eglise, lorsque Pierre, le jour de la Pentecôte, explique à la foule qui prend les apôtres pour des hommes ivres : « Je répandrai de mon Esprit, et ils parleront en prophètes ! ».  La parole des Apôtres suscitée par le Saint-Esprit fait écho à la Parole faite chaire en Jésus-Christ. Elle inaugure le temps de l’Eglise, ce temps où chaque croyant, appelé par la pure grâce de Dieu est fait ‘témoin de tout cela’, comme le dit Jésus à ses disciples au moment où après la résurrection, alors qu’il va être enlevé au ciel, il rencontre une dernière fois ses disciples : ‘Ainsi, leur dit-il, il est écrit que le Christ souffrirait, qu’il se relèverait d’entre les morts le troisième jour et que le changement radical, pour le pardon des péchés, serait proclamé en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. Vous en êtes témoins. Moi j’envoie sur vous ce que le Père a promis ; vous restez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la puissance d’en haut’. Mort et résurrection du Christ, conversion et pardon, proclamation à toutes les nations… tout est dit là de la Parole de libération, d’alliance, de prophétie ; Parole créatrice d’un monde nouveau. Et pour chacun d’une vie nouvelle !
 
Cette Parole de Dieu est devenue lentement mais résolument une Parole de Dieu pour moi. C’est ici qu’à mon avis surgit le principal défi de la Parole de Dieu. 
Dieu me parle comme il parle à toi, à toi, à toi, … Dieu parle à des hommes et à des femmes depuis toujours et pour toujours. Il ne parle pas – excusez la provocation ! – à l’Eglise. L’Eglise est le lieu où nous partageons, vérifions, authentifions, traduisons en langage commun, ce que nous recevons comme Parole de Dieu. De même que si je prétends avoir entendu une Parole de Dieu, Il me faut l’authentifier dans le partage avec d’autres, de même l’Eglise ne peut dire à ma place ce que Dieu a à me dire. C’est dans ce difficile rapport entre le face à face avec Dieu et la nécessaire relation communautaire à la Parole de Dieu que se vit la foi chrétienne. 
Mais les Eglises favorisent-elles ce partage des ‘paroles’ reçues de Dieu par les fidèles ? Sont-elles vraiment des lieux de partage ? Sinon, se rendent-elles comptes de ce qu’elles perdent en richesse d’expression de la Parole de Dieu pour le monde ?  
Permettez-moi de souligner l’enjeu œcuménique d’un tel questionnement. En effet, ce n’est que lorsque je reconnais mon ‘insuffisance’, la dimension inévitablement partielle et partiale de mon écoute de la Parole de Dieu, que je découvre toute l’importance de la dimension communautaire qui ne peut être limitée à la seule communauté ecclésiale à la quelle je me rattache. La Parole de Dieu, adressée à des hommes et des femmes de toutes conditions, de toutes traditions ecclésiales,  ne peut être reçue dans sa plénitude que dans la communion de tous les chrétiens. Chaque Eglise est dépendante de ses Eglises sœurs pour être conduite, ou pour le moins enrichie, sur le chemin d’une pleine écoute de la Parole de Dieu et d’une réponse plus riche à cette Parole. C’est pour moi la motivation première de toute démarche œcuménique.
 
Prenons encore en considération une autre dimension de ce partage nécessaire ; je veux parler de l’inter culturalité.  Le rapport de la Parole de Dieu à la vie des hommes et des femmes s’exprime dans des cultures différentes. La foi chrétienne ne peut être indépendante d’un enracinement dans une culture. Cela pose de difficiles questions dans l’interprétation du texte biblique, expression nécessairement ‘inculturée’ de la foi de croyants à travers la longue histoire de l’élaboration de ce texte. Cela pose aussi la difficile question de l’inculturation de la foi aujourd’hui. Mais au-delà cela pose la question de l’écoute partagée de la Parole de Dieu entre hommes et femmes de cultures très différentes et que le monde globalisé amène à vivre côte à côte. Dire, par exemple, la foi chrétienne en France aujourd’hui c’est accepter d’entendre simultanément ce que Dieu dit aux chrétiens d’autres cultures, d’autres continents. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons dire une parole qui vient de Dieu dans notre monde contemporain ; et si nous ne le faisons pas ensemble nous rendons un contre témoignage.
 
Il faut encore développer ici la dimension du dialogue inter religieux. S’il a un sens, c’est bien parce que nous ne pouvons limiter à nous-mêmes, chrétiens, à qui l’Evangile de Jésus Christ révèle la plénitude de la Parole de Dieu, le droit de Dieu de parler aux hommes et aux femmes de ce monde. Nous ne pouvons fixer une limite à la compassion de Dieu pour l’humanité, même si nous ne connaissons que le chemin tracé par le Christ pout y répondre. Lorsque je rencontre un Bouddhiste, un Musulman, … je dois laisser ouverte l’hypothèse que Dieu lui parle aussi, et qu’il a quelque chose à me dire de Dieu.
 
Défi premier ; défi de ma capacité à écouter, et partager.
 
Ce qui est pour moi le deuxième défi majeur de la Parole de Dieu, c’est celui d’être porteur d’une parole qui vient de Dieu, que Dieu a placée en nous pour faire de nous ses ‘collaborateurs’. Je crois que nous ne pouvons prononcer ces mots qu’avec tremblement, devant l’énormité de la tâche qui nous est confiée. Du moins lorsque nous regardons le monde avec lucidité et la distance qui le sépare de la volonté de Dieu. Chacun de nous, à partir de sa propre expérience de vie, pourrait ici exprimer le prix que représente ce témoignage qui lui est demandé par la Parole de Dieu, loin de toute recherche de pouvoir, totalement tournée vers le service de l’humanité souffrante. Mais tel est bien le rôle commun des croyants ; s’ils n’apportent qu’eux-mêmes à l’humanité, ils n’apportent rien de neuf. Mais apprenant à partager ce qu’ils reçoivent de Dieu, dépassant les barrières des cultures, ils sont en mesure de faire partager ce que Dieu leur dit de sa justice et de sa paix.
Les croyants, quelle ressource pour un monde globalisé ? Etre des hommes et des femmes  porteurs de la Parole de Dieu, sachant écouter autant que partager, pour offrir au monde la dimension d’une commune humanité enrichie par la Parole de Dieu.