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Maroun Lahham

Archevêque catholique, Patriarcat de Jérusalem
 biographie

Dans la mentalité biblique, la mer représentait le pouvoir du mal, les puissances incontrôlables. Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi. La mer, et en 1' occurrence la Méditerranée, est un espace de rencontre, elle offre des réseaux de connaissance et des possibilités de convergence précieux. La vocation de la Méditerranée est d'être un pont qui unit les différences dans 1'harmonie. Deux concepts sont nécessaires pour la réalisation de cette vocation d'espace de rencontre: connaissance et convergence. Pas de connaissance sans convergence et pas de convergence sans connaissance. Une connaissance sans convergence est un luxe intellectuel et une convergence sans connaissance ne peut avoir aucun résultat, parce que privée de tout fondement sérieux.

Qu'est-ce que les deux rives de la Méditerranée doivent savoir les unes des autres pour pouvoir se rencontrer. Je cite quelques points pour respecter la limite du temps :

- Savoir que les deux rives de la Méditerranée sont différentes (géographie, histoire, langue, civilisation, mentalité, psychologie, culture, appartenance religieuse).
- Savoir - et être convaincu - que le but de la rencontre est de faire de ces différences des éléments d'enrichissement mutuel et non des motifs de confrontation et de crise, encore moins de conflit.
- Apprendre et s'informer le plus possible sur l'autre (son histoire, ses valeurs, sa mentalité, sa mémoire historique, ses conviction religieuses, ses sensibilités .. . ) Il a été suggéré que les pays du Moyen Orient et de 1' Afrique du nord étudient le Christianisme dans leurs écoles et que les pays européens en fassent autant pour l'Islam.
- Étudier une bonne fois, avec un regard objectif- dans la mesure du possible- et essayer de guérir les blessures du passé - et du présentavec des attitudes de grandeur d'âme, de largesse d'esprit, de pardon et de réconciliation (invasions, guerre nord sud, croisades, colonialisme .. )
- Connaître les besoins des deux rives de la Méditerranée (spirituels, éthiques, intellectuels, matériels, économiques) et y répondre avec générosité, et gratuité).
- Être conscients de 1' importance primordiale d'un certain nivellement économique des deux rives de la Méditerranée qui, seul, permet d'établir un réseau de rencontre objectif et sérieux, sans complexe de supériorité ou d'infériorité- au niveau économique par exemple – de puissance ou de dépendance. L'histoire, le bon sens et l'expérience disent que sans un certain sens d'égalité, il n'est pas facile d'avoir des relations sereines et fructueuses entre les deux rives de la Méditerranée, si vraiment on veut l'appeler (Mare Nostrum). Ceci dit, il est certain qu'une volonté politique doit être à 1 'origine de telles attitudes.
- Regarder avec réalisme les problèmes concrets que rencontrent les hommes et les femmes des deux rives de la Méditerranée (immigration licite et illicite, exploitation, aliénation culturelle et religieuse, valeurs et contre valeurs, crise morale, crise familiale, peur devant la montée de 1 'Islam, fondamentalisme religieux des deux côtés, repli sur soi, intégration souvent problématique etc.).

Qu'il me soit permis de parler, en tant qu'évêque catholique arabe et de culture arabo-musulmane, de la dimension religieuse de la rencontre, et de ses retombées sur les divers peuples en question. Une chose est claire: 1'Occident porte une matrice culturelle chrétienne et 1 'Orient - ainsi que 1 'Afrique du nord -, porte une matrice culturelle musulmane, intimement liée à la foi musulmane, ce qui n'est pas évident dans la rive nord. Pour dissiper d'éventuels malentendus entre une présence historique de chrétiens dans les pays arabes et la présence récente mais toujours plus forte de 1 'Islam en Europe, voici quelques points qui permettent d'avoir les meilleurs relations possibles entre ces deux mondes:

- La présence chrétienne dans les pays arabes - au moins dans les pays du Moyen Orient- n'est pas à comparer avec la présence musulmane en Europe. Les chrétiens arabes sont du pays et ont la même histoire, langue et culture de leurs concitoyens musulmans.
- La présence musulmane en Europe est un phénomène historique relativement récent, mais irréversible. Il doit être traité avec le plus grand sérieux, sans préjugés, sans peur et dans naïveté, avec un esprit ouvert et objectif.
- La présence musulmane en Europe peut présenter une chance pour l'Europe et pour l'Islam, comme elle peut devenir une source de malentendus et de conflits. Pour 1 'Europe - je parler toujours de la dimension religieuse - c'est, positivement, un rappel à avoir une identité plus forte, à revenir à des valeurs spirituelles et morales en perte, peut être aussi à penser une nouvelle manière de concevoir la séparation entre 1 'Église et 1 'État. Mais c'est aussi une chance historique pour 1 'Islam. Car un Islam européen, en statut de minorité, est obligé d'entrer dans le monde du pluralisme religieux et culturel, de se forger une jurisprudence (fiqh) faite pour un Islam minoritaire et d'acquérir une mentalité, toujours respectueuse, mais un peu critique, de quelques notions religieuses qui ne font pas strictement partie du noyau de la foi. L'Islam a tout à gagner de cette possibilité qui lui est offerte et il en sortira toujours fidèle à sa foi, Islam authentique, mais plus libre- plutôt libéré-, et par conséquent plus fort et plus crédible.
- L'Europe doit aider 1 'Islam européen dans ce grand effort vers la culture de la modernité et du pluralisme. Elle doit montrer beaucoup de patience, supporter quelques refus, s'attendre à des avancées et des reculs, négocier des solutions. Cela vaut la peine, car le résultat sera bénéfique pour tout le monde.

Rencontre, connaissance et convergence, les trois concepts sont complémentaires. Les véritables résultats seront atteints lorsque, à la rencontre, à la connaissance et à la convergence, se joint l'amour qui est plus fort que tout.

Merci
+ Maroun Lahham
Sarajevo
8-12 septembre 2012