7 Septembre 2009 09:30 | Filharmonia Krakowska

Contribution



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Serafim

Evêque Métropolite orthodoxe, Patriarcat de Roumanie
 biographie

Métropolite Serafim


La pense et la prophétie : l’héritage du Pape Jean Paul II
vu par un chrétien orthodoxe


Je voudrais commencer ce témoignage sur le bienheureux Pape Jean Paul II par remercier la Communauté de St. Egidio pour l’invitation à cette grande Rencontre qui a lieu ici, dans la terre natale de Jean Paul II et dans la ville où il fut archevêque pendant de nombreuses années. C’est un privilège, je dirais même une bénédiction, pour nous qui ve-nons d’autres pays de nous trouver dans la ville de Jean Paul II, cet homme de Dieu qui a légué à l’humanité entière par son exemple per-sonnel, par ses écrits et ses exhortations de vivre dans le respect de chaque personne humane dans son identité propre formée par l’appartenance à une race, à un peuple, à une religion ou confession religieuse, à une culture ou à des traditions spécifiques…

En tant que chrétien, Jean Paul II fondait sa conception de l’homme sur le mystère biblique du Dieu trinitaire : un dans sa nature profonde, impénétrable et incognoscible, et trois dans les personnes. En Dieu coexistent donc l’unité absolue et la diversité absolue. Et aussi sur le mystère de l’humanité créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Deux mystères qu’on ne doit jamais séparé. Ainsi chaque être humain est distinct de tous les autres et en même temps uni à tous les autres.

Cela veut dire que les différences entre les personnes humaines sont légitimes, appartiennent à leur nature même et ne détruisent pas leur unité profonde fondée en Dieu lui-même. Les mésententes, les que-relles, les tensions et les guerres qui naissent justement à cause du manque de respect pour la différence de l’autre troublent l’unité du monde et font souffrir, souvent tragiquement, ceux qui s’y engagent. Pourtant elles ne peuvent pas détruire totalement l’unité entre les êtres humains. Il reste toujours quelque chose de cette unité. Et tout peut se reconstruire par un engagement fondé sur le respect de l’autre, le pardon et l’amour qui n’a pas de limite et qui fait toute chose nouvelle. C’est pourquoi le Pape Jean Paul II s’est fait un vrai prophète de la paix et de l’unité entre les hommes.

Esprit slave, mystique par nature, marqué dès sa jeunesse par la résis-tance contre les dictatures : de droite, nazie et de gauche, communiste, Jean Paul II a su bien allié dans son pontificat le patriotisme polonais avec l’esprit d’ouverture mondiale en devenant « Pasteur des peuples » (titre d’un article apparu dans le journal « Süddeutsche Zeitung », avril 2005).

J’ai la profonde conviction que Dieu a fait de ce Pape un prophète de la paix, tout d’abord parce qu’il a contribué comme personne d’autre à la chute du plus inhumain système politique que le monde a connu dans son histoire : le communisme athée. Même si à l’effondrement du communisme ont contribué aussi des facteurs économiques et sociolo-giques, l’apport du Pape est « une confirmation indubitable de l’importance du rôle de la personnalité et de l’esprit dans la création de l’histoire » (N. Stroescu). Dès son élection comme évêque de Rome et pape de l’Eglise Catholique, dans son pays se réveilla l’esprit d’émancipation de l’idéologie et de l’impérialisme communistes. Toute suite après sa première visite en Pologne (1979) apparaissait le syndi-cat « Solidarité » et la grève de Danzing fraya la voie ascensionnelle de la libération du communisme en l’Europe Centrale et de l’Est.

La chute du communisme athée a redonné à des millions des personnes la dignité humaine fondée sur la liberté et la religion. Politologues, comme l’allemand Gustav Seibt voient déjà dans l’élection du Pape en 1978 le signe d’un premier détachement du sécularisme de l’époque des révolutions européennes et le retour de la religion dans la politique mondiale.

Le Pape n’a cessé de condamner la guerre (« toute guerre, disait-il, est une défaite de l’homme lui-même ») et de se faire médiateur dans les conflits à travers le monde. Il « pria à genoux » les protestants et les catholiques d’Irlande, engagés depuis longue date dans un conflit sou-vent sanglant, de cesser toute hostilité et de se réconcilier au nom de Dieu.

Lors de sa visité historique à Bucarest, le Pape apposa sa signature, avec le Patriarche Theoctiste, sur un Document condamnant la guerre contre l’Jugoslavie : « Nous exhortons toutes les parties présentes de faire des gestes prophétiques pour un nouvel art de vivre dans les Bal-cans ». Il s’opposa sans réserve au déclanchement de la guerre en Irak. Il a montré sans hésitation et sans équivoque aux musulmans que le monde chrétien ne veut et ne conçoit même pas une guerre contre l’islam. Par ses visites à la synagogue de Rome et à Jérusalem, le Pape a ouvert une nouvelle page dans l’histoire des relations entre le catholi-cisme et le judaïsme.

Et parce que la guerre a souvent comme cause la pauvreté, le bienheu-reux Pape s’est fait constamment l’avocat des pauvres. Il a condamné sans réserve le Nord prospère qui s’enrichit au détriment du Sud pauvre et exhorta le partage des biens matériels.

Le pape – qui a connu en Pologne l’athéisme d’état et en Occident l’athéisme privé né de l’indifférentisme religieux et de l’impératif aveugle hédoniste d’une société matérialiste - a du réagir avec une sen-sibilité aiguë face à la crise du sens caractéristique de l’homme mo-derne, éloigné de la foi. Ainsi s’explique son souci permanent d’aider les hommes à redécouvrir le sens de la vie et la confiance en Dieu.
En même temps, Jean Paul II était profondément blessé par la désu-nion des chrétiens et, au niveau des religions, par le fait qu’elles sont souvent causes des conflits ethniques ou interethniques au lieu d’être sources de paix et de bénédiction pour les nations. C’est pourquoi le Pape s’est fait dès le début de son pontificat pèlerin de paix à travers le monde. Dans ses plus de 100 pèlerinages à l’échelle de la planète, son message de foi, de confiance et de paix touchait les cœurs des millions de gens des cultures les plus différentes.

Jean Paul II a été conscient, comme peux le sont, que les chrétiens doivent affronter ensemble le flagelle de la sécularisation qui tend à se globaliser… C’est pourquoi l’effort pour le rapprochement des chrétiens en vue de leur unité, voulue par le Christ, fut une priorité de son pontificat. Conscient que la papauté, telle qu’elle s’est développée au deuxième millénaire, représente une cause importante de division entre les chrétiens, il lança l’invitation aux représentants de toutes les confessions à débattre ensemble de cette question si controversée. Cette invitation reste toujours ouverte ! Avec les orthodoxes, le Pape se sentait extrêmement proche. Sa lettre pastorale : «La lumière d’Orient» ainsi que ses voyages en Roumanie, en Grèce, en Georgie, en Bul-garie, pays traditionnellement orthodoxes, en témoignent largement.

Je ne peux pas cacher ici l’expérience du peuple de Dieu en Roumanie, qui pendant la Messe papale en présence du Patriarche Théoctiste se mit spontanément à crier : Unitate ! Unitate ! C’était un cri prophétique dont les responsables des Eglises devaient toujours avoir au cœur. Cette communion plénière de tous les chrétiens est la « prière – testament » que le Seigneur nous a légué avant sa Passion : « Que tous soient un ! » (Jn. 17, 21).

Il n’y a rien de plus beau et de plus nécessaire que de vivre l’unité de tous et de tout dans nos cœurs purifiés par la prière et l’ascèse. Et de rependre cette paix mystique de l’unité autour de nous à l’exemple des saints.

Convaincu que seuls la rencontre et le dialogue peuvent créer, peu à peu, un climat de respect réciproque et même de confiance entre les religions, le Pape prit cette formidable initiative qui devait bouleverser l’histoire religieuse du monde : inviter les représentants des religions pour une rencontre de dialogue et de prière dans la ville du pauvre François d’Assisi qui renouvela l’Eglise justement par sa pauvreté. L’exemple de Saint François devait servir à tous les croyants. Et les religions sont les premières à aider les hommes à vivre dans la paix et la justice. La pauvreté librement acceptée, si elle ne glisse pas dans la misère, peut devenir une grande vertu.

Jean Paul II fut un grand visionnaire et je suis heureux que la Communauté de Saint Egidio fasse l’effort d’implémenter ses visions par l’organisation de ces Rencontres interreligieuses.

Métropolite Serafim