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Jean-Arnold de Clermont

Pasteur de l’Eglise Réformée, France
 biographie
Je m’exprime au milieu d’un panel de politiciens, de diplomates, de philosophes ; j’ai donc choisi de m’exprimer en théologien protestant, portant un regard aussi œcuménique que possible sur l’Europe des Eglises et des religions. 
L’Europe est le continent qui a donné naissance au mouvement œcuménique. Il avait tout pour cela réunissant la plus grande diversité des Eglises, catholique, protestantes et orthodoxes. Le mouvement œcuménique y a trouvé deux racines profondes ; le scandale reconnu des divisions notamment dans la ‘conquête missionnaire’ du XIXème siècle (c’est une rencontre entre Sociétés de Mission, à Edimbourg en 1910, qui a été l’occasion d’une conférence sur l’unité des Eglises et qui est reconnue comme le point de départ du Mouvement œcuménique) ; mais plus encore c’est l’expérience vécue dans les camps de prisonniers de la seconde guerre mondiale qui va conforter la nécessité et l’évidence du Mouvement œcuménique ; catholiques et protestants réunis dans la lecture de la Bible et la prière . Ce sont là les deux principaux arguments contre la division des chrétiens ; le scandale de la concurrence et la force paisible de la prière commune, enracinée dans l’Evangile. 
Les fondateurs de l’Union Européenne étaient portés par ces arguments. Il est étonnant de noter combien la réconciliation et la construction de la paix, éléments fondateurs de l’Union Européenne, sont enracinées dans des valeurs chrétiennes.
Mais si je me tourne vers l’Europe d’aujourd’hui, force est pour moi de constater que deux attitudes viennent mettre en question sinon en péril cette volonté du ‘vivre ensemble’ européen. De l’intérieur des Eglises le regard porté sur la sécularisation des sociétés européennes conduit au nom de la ‘ré-évangélisation’ à des mises en question du mouvement œcuménique ; on revient aisément au chacun pour soi ! qu’il s’agisse de mouvements évangéliques, ou de communautés charismatiques, ou de groupes catholiques conservateurs… il s’agit de reconstituer des communautés tournées vers elles-mêmes, réfractaires à tout esprit œcuménique. 
Parallèlement, de l’extérieur des Eglises, la montée des nationalismes présents dans presque tous les pays de l’Europe d’aujourd’hui met en question sinon en péril la construction du ‘vivre ensemble’ européen. Les dernières élections pour le Parlement européen sont cruellement dans notre mémoire. 
 
Je ne pense bien sûr pas qu’il s’agisse d’un phénomène irréversible ; mais c’est une alerte pour que les arguments du ‘vivre ensemble’ soient développés et affirmés.  
J’indique trois directions qui me semblent fondamentales :
-  Aussi plurielles soient-elles les Eglises reconnaissent toutes qu’elles ont leur source en Jésus-Christ. Chacune est un visage de l’Eglise universelle dont elles ont, chacune pour leur part, à rendre compte avec fidélité. Leur pluralité tient à l’histoire, à la diversité des cultures humaines, aux multiples attentes spirituelles des hommes ; mais la permanence de cette pluralité n’a de sens que si elle se vit dans la reconnaissance des autres, dans une vision pluraliste de l’Eglise une.
Dire cela c’est affirmer que mon Eglise particulière a besoin des autres Eglises particulières pour comprendre et donner un visage à la plénitude de l’Eglise du Christ.
 
-  Le deuxième argument des chrétiens pour le ‘vivre ensemble’ en Europe tient à la responsabilité dont ils se savent investis pour que le monde où ils vivent répondent à la volonté de justice et de paix du Dieu de la Bible. Chaque page de l’Ecriture Sainte en témoigne ; chaque heure de notre vie en dit la nécessité. Ce ne peut être qu’œuvre commune où chacun apporte le meilleur de lui-même pour une édification du bien commun. Justice sociale, solidarité avec les pauvres, accueil des exclus, attention aux victimes, préservation de l’environnement pour les générations à venir… la création est un tout qui exige des perspectives et des solutions communes.
 
-  Mais mon dernier mot sera pour refuser de limiter à l’Europe cet objectif du ‘vivre ensemble’. D’une part parce que notre Europe a marqué de son empreinte, une empreinte ni toujours juste ni toujours écologique ni toujours simplement humaine, de nombreuses régions du monde (je pourrais en donner de multiples exemples notamment en Afrique !). D’autre part, l’universalisme de l’Eglise m’interdit de me limiter à quelques frontières que ce soit. Aussi tout argument pour le ‘vivre ensemble’ en Europe, qu’il s’agisse du besoin fondamentale des autres pour comprendre de qu’être un humain veut dire ; ou qu’il s’agisse de rechercher un monde de justice et de paix, doit se confronter à la dimension mondiale. 
 
Or précisément, c’est parce que cette vision d’une Europe réconciliée, faisant de la justice sociale le fondement de la paix, est celle qui porte l’Union Européenne depuis sa fondation, que cette Europe-là peut et doit avoir un rôle déterminant dans le monde d’aujourd’hui.
Les européens, et les Eglises en Europe, en sont-ils conscients ? 
 
Je vous laisse sur cette question.