7 Septembre 2015 09:30 | Hotel Rogner

Discours de Athenagoras



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Athenagoras

Orthodox Metropolitan Bishop, Ecumenical Patriarchate
 biographie

Je suis heureux de participer à cette assemblée où des gens de foi sont réunis autour d’un même dénominateur : l’amour du prochain ! Dans une époque où les valeurs fondamentales sont bafouées, où la vie humaine est mercantilisée à travers la situation dramatique des migrants, où les chrétiens sont exterminés et chassés des régions qui ont été le berceau du christianisme, notre rencontre de ces trois journées est un phare dans l’océan déchaîné des passions de notre temps.

Comment donc ne pas nous réjouir quand le sujet qui nous préoccupe ici dans la merveilleuse ville Tirana est un des chevaux de bataille de notre Patriarche œcuménique qui très tôt s’est attaché à joindre ses forces pour réveiller les consciences du monde entier sur le phénomène de plus en plus inquiétant de la destruction de notre environnement ? Son travail acharné et sa ténacité en la matière ont vite justifié sa dénomination de Patriarche Vert.

«Par toute la terre, Seigneur, admirable est Ton nom, Ta majesté suprême surpasse les cieux, de Ta louange est remplie l’entière création ; Toi le Très-Haut, Tu as bien voulu nous soumettre la terre, la mer et tout ce qu’elles renferment ; Tu nous as permis de voyager sur les routes du ciel ; aussi donne-nous la sagesse et le pouvoir d’y exercer notre ouvrage selon le bien et de garder sans pollution ce qui nous est confié pour le louer comme notre Créateur, Toi le Maître qui nous aime, dans les siècles» (Vêpres 1er septembre).

Le monde a été créé par Dieu parce que Dieu l’a voulu. Et donc le monde est parfait dans sa structure: équilibre, dimension, agencement. Emerveillement! Le monde a en lui la sagesse divine. En regardant le monde, on est face au génie de Dieu.

Le monde porte en lui la marque de Dieu. Chaque objet est à sa place comme un immense puzzle où chaque morceau est indispensable au précédent et nécessaire au suivant. Telle une œuvre musicale, une parfaite symphonie, une éclatante harmonie! L’immensément grand et l’immensément petit !

Notre relation avec l’univers est une ligne continue. L’homme fait partie intégrale du monde, et l’en sortir, c’est le dénaturer. Comme le monde est la nature, dénaturer l’homme, c’est le déshumaniser! Créés à partir de la terre, c’est à la terre que nous retournons : chacun des milliards de milliards d’éléments qui nous composent retournent au monde animal, végétal et minéral. Nous sommes créés de milliers d’étoiles!

L’homme résume en lui toute la création. Créé à l’image de Dieu et à la ressemblance de Dieu, l’homme est le miroir du monde, le trait d’union entre ce qui nous entoure et le Créateur.
•  la beauté d’un paysage à vous couper le souffle, a en avoir les larmes aux yeux,
•  le bleu azur et le vert reposant,
•  les couleurs qui apaisent, qui calment,
•  le bruit d’une cascade qui rafraîchit,
•  le flux et le reflux des vagues qui hypnotisent, …

L’homme est une échelle entre la nature et Dieu. Si Dieu a créé par la Parole, le monde est le langage de Dieu vers l’homme. «Ainsi le cosmos n’a pas seulement pour but de converger, par la flèche du temps, vers une situation qui permette la manifestation de l’homme, la terre ne doit pas seulement pourvoir à nos besoins ; le cosmos, la terre sont appelés à devenir un dialogue entre l’homme et Dieu. Le monde est le langage de Dieu vers l’homme. Il peut devenir le langage de l’homme vers Dieu». 

«Ne déplace pas sans discernement les bornes de la nature, ne pense pas que l’insolence demeure impunie, car tu récolteras la destruction comme juste salaire de ton manque de sens. » (Matines 1er septembre)

A chaque fois qu’on donne à l’humanité un pouvoir, elle va succomber à la tentation d’utiliser ce pouvoir aux dépens d’autrui,  l’utiliser pour asseoir sa supériorité, transformer l’autre à son service, en faire son esclave.

Dieu donne des enfants aux parents pour qu’ils en soient les gardiens, les conseillers, les tuteurs. Eux transforment ce mandat en acte de possession : les enfants deviennent leurs objets qui doivent suivre leurs aspirations, accomplir leurs rêves et désirs, l’adjectif possessif domine: mes enfants, mon fils, ma fille, …

Ainsi Dieu donne à l’humanité la nature, instaure l’homme maître de cette nature, pour s’en servir dans le respect  de ce qui est donné. « Ce qui est à Toi, nous Te le rendons. Seigneur, Tu nous as donné toutes ces merveilles comme un don venant de toi, un cadeau qui t’englobe. Nous en prenons soin et nous te le rendons ». Pourtant, nous avons aussi transformé ce mandat reçu en une folie de destructrice.

Cependant, l’Eucharistie de notre Divine Liturgie appelle chaque fidèle à partager la Table Commune. En communiant au Corps et au Sang du Seigneur, nous partageons le Christ entre des milliers d’hommes et de femmes de toute la planète. Et ce partage se fait sans restriction.

Comment être heureux si mon frère ne l’est pas ? Comment me rassasier si mon frère souffre de faim ? A travers les traditions léguées par nos Pères de l’Eglise, nous sommes amenés à combattre ce mode de vie qu’est la consommation à outrance, aboutissant au gaspillage et au pillage de notre planète.

Nous n’avons aucune excuse à notre époque où l’information circule de manière instantanée. Nous ne pouvons ignorer que la planète est en danger, puisque depuis le 19 août 2015, l’Humanité est entrée en déficit écologique, la population mondiale ayant consommé la totalité des ressources naturelles que la Terre est capable de renouveler en l’espace d’une année.

C’est simple, «nous sommes en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis», … et cela ne fait plus rire personne.

Depuis plusieurs décennies, le monde scientifique accumule les preuves de l’impact négatif des activités des hommes sur le développement de la nature et la destruction irréversible qui s’ensuit. Les intérêts économiques et le refus de changer un mode de vie, ainsi que l’aveuglement d’une partie de nantis, ont jeté le discrédit sur les allégations du monde scientifique.

L’Eglise orthodoxe n’a pas attendu les remarques des scientifiques pour réagir et prendre des initiatives.

Le 6 juin 1989, le Saint Synode, sous la présidence de Sa Toute-Sainteté le Patriarche Œcuménique d’éternelle mémoire Dimitrios, devait prendre une décision qui allait marquer le cours de l’histoire : il déclarait le 1er septembre, jour de la Fête de la Création.

Tout a démarré dans le milieu des années ’80, de manière progressive.

En 1986, à Chambésy, la troisième Conférence Présynodale devait exprimer son inquiétude quant à l’abus et même la maltraitance de l’environnement, surtout dans les sociétés occidentales. S’ensuivirent une série de rencontres inter orthodoxes, de congrès et de publications, - avec la participation actives de Son Eminence le Métropolite Genadios de Sassime, -  autour de la thématique de la justice, de la paix et de l’intégrité de la Création.

L’île de Patmos, en 1988, date anniversaire des 9 siècles d’existence du Monastère de l’auteur de l’Apocalypse, verra la tenue d’un Congrès sous l’égide conjointe du Patriarcat Œcuménique et du Ministère Hellénique de la Culture avec comme sujet central «L’Apocalypse et l’avenir de l’Humanité». Son Eminence le Métropolite Jean de Pergame, désigné comme représentant patriarcal devait faire un discours remarqué, ouvrant la voie au Synode de 1989, et la première encyclique officielle sur l’environnement.

Avec cette encyclique, le monde orthodoxe devait célébrait le 1er septembre non seulement comme le premier jour de l’année ecclésiastique mais également, comme jour de prière pour la protection de l’environnement.

L’année suivante, le grand hymnographe du Mont Athos, l’Hiéromoine Gérassime Mikragiannanitis, composait un office pour cette fête de la Création.

A peine un mois après son élection et son intronisation, Sa Toute-Sainteté notre Patriarche Œcuménique Bartholomée convoquait un Congrès écologique en Crète, inaugurant une collaboration étroite et de haut niveau avec le Prince Philippe de Grande Bretagne et Président du Fonds Mondial pour la Nature (WWF). Les Congrès succédèrent aux Séminaires et aux rencontres internationales: cinq séminaires de Chalki (de 1992 à 1998) avec la participation de théologiens et de professeurs environnementalistes de hauts niveaux, et puis ce sont les titres et diplômes de diverses universités et organismes qui vont être attribués à Sa Toute-Sainteté en reconnaissance des efforts fournis et initiatives prises pour  l’environnement. «Docteur Honoris causa» des Universités d’Egée (1994), d’Athènes, d’Edimbourg, de Yale ; Prix «Sophie de Norvège»,  «Scenic Hudson Award» des Etats-Unis d’Amérique: autant de distinctions qui vont honorer Sa Toute-Sainteté et lui justifier le qualificatif de Patriarche Vert, mais aussi faire connaître le Trône Œcuménique auprès des consciences du monde entier.

Persuadé que tous les inquiétudes environnementales imbriquées dans un dialogue inter-confessionnel et scientifique ne  peuvent qu’être bénéfiques, Sa Toute-Sainteté fonde en 1994 la «Commission Religieuse et Scientifique» (Religious and Scientific Committee), dont la Présidence sera confiée à Son Eminence le Métropolite Jean de Pergame et la gestion à l’infatigable Mme Maria Beket. C’est sous leur impulsion qu’eurent lieu les croisières internationales, interconfessionnelles et inter-scientifiques: à Patmos en 1995, en Mer Noire en 1997, sur le Danube en 1999, en Mer Adriatique en 2002 (signature de la «Charte de Venise» avec le défunt Pape d’heureuse mémoire Jean Paul II), sur la Mer Baltique en 2003, sur le fleuve Amazone au Brésil en 2006, dans l’océan Arctique en 2007 et enfin, sur le Mississipi des USA en 2009.

Aujourd’hui, l’Eglise orthodoxe est heureuse de voir l’Eglise sœur Catholique Romaine rejoindre cette idée de protection de l’environnement. Sa Sainteté le Pape François dans sa nouvelle Encyclique, «Laudato si’, sur la sauvegarde de la maison commune», lance un appel vibrant au réveil des consciences autour de ce sujet. Il écrit entre autres: « (…) Le Patriarche Bartholomée s’est référé particulièrement à la nécessité de se repentir, chacun, de ses propres façons de porter préjudice à la planète, parce que «dans la mesure où tous nous causons de petits préjudices écologiques», nous sommes appelés à reconnaître «notre contribution – petite ou grande – à la défiguration et à la destruction de la création». (….)
En même temps, Bartholomée a attiré l’attention sur les racines éthiques et spirituelles des problèmes environnementaux qui demandent que nous trouvions des solutions non seulement grâce à la technique mais encore à travers un changement de la part de l’être humain, parce qu’autrement nous affronterions uniquement les symptômes. Il nous a proposé de passer de la consommation au sacrifice, de l’avidité à la générosité, du gaspillage à la capacité de partager, dans une ascèse qui «signifie apprendre à donner, et non simplement à renoncer. (fin de citation)

Notre comportement aujourd’hui est criminel. Nous vivons dans le péché, éloigné de Dieu de plus en plus, nous isolant dans notre autosuffisance et notre aveuglement. Nous pensons tout connaître et avoir tous les droits. Nous avons transformés le pouvoir de gestion, en pouvoir de destruction. Est-il nécessaire de rappeler notre frénésie à consommer. On ne répare plus, cela coûte trop cher, et il vaut mieux acheter un nouvel objet ! Tout pour le bien-être, le confort, le mode de vie d’une petite partie de l’humanité : 30 % de la population mondiale, aujourd’hui, consomme les 89% des produits mondiaux. Un milliard d’êtres humains souffrent du manque de nourriture, 400 millions sont en danger immédiat, 20 millions meurent chaque année de faim, c’est-à-dire 60.000 personnes par jour !

Notre boulimie de consommation est devenue pathologique, à l’image des bénéfices que chaque année une entreprise doit réaliser pour être « rentable » ! La course au profit, l’amassement des richesses au mépris de l’image de Dieu dans le visage de l’autre. Mon égo, ma vie pour ta mort : combien de dollars vaut une vie pour un passeur qui remplit une barque en caoutchouc et envoie des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants à une mort presque certaine ?

Il n’y a pas de place pour l’autre puisque notre égo prend toute la place. Où y mettre Dieu? Pourquoi s’occuper de la nature? Elle ne peut pour l’homme dénaturé n’être qu’un outil au service de Satan.

La fonte des neiges qui prive de banquise des milliers de phoques, pourquoi s’en émouvoir? Parce que nous faisons partie de ce tout créé! Chacun de nous avons notre part de responsabilité, et nous pouvons dans notre quotidien prendre conscience que le Seigneur nous demandera des comptes.

Puisse ma prière se joindre à la vôtre pour retrouver notre communion avec la nature, ce cadeau que le Seigneur nous a légué, dans les siècles des siècles.

Amen.