Deel Op

Laurent Ulrich

Aartsbisschop van Parijs, Frankrijk
 biografie
Cultiver « l’audace de la Paix », en réponse à l’invitation de la Communauté de Sant’Egidio, conduit à regarder notre monde avec lucidité.  Et ce regard nous fait effectivement apparaître l’éclatement de la famille humaine, jusqu’au cœur même des nations. Or, les différences religieuses et culturelles ont souvent été perçues comme des ferments de division. Mais c’est bien parce que nous pensons qu’elles peuvent au contraire constituer des vecteurs d’unité que nous contribuons volontiers à ce forum. Je remarquerai donc en premier lieu que ce dialogue auquel nous nous risquons ce matin, illustre parfaitement cette possibilité première d’une entente facilitée par notre sensibilité religieuse, ouverture à une transcendance. 
A un groupe de jeunes francophones réunis à Lisbonne au beau milieu de l’été, pour les Journées mondiales de la jeunesse, je proposais justement de considérer le dialogue comme le premier outil offert à l’inspiration chrétienne de créer et entretenir une amitié sociale. Ainsi que le résume le Saint-Père François, en ouverture de son encyclique Fratelli Tutti, il s’agit bien de « partir de mes convictions chrétiennes qui me soutiennent et me nourrissent, de le faire de telle sorte que la réflexion s’ouvre au dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté. » (Fratelli Tutti 6) 
Ce dialogue fraternel qui me semble constituer le socle de toute paix, implique en premier lieu de s’enraciner dans la création, notre maison commune. La famille humaine, qui a son origine dans le projet unique de Dieu, s’y rassemble, s’y disperse, se dispute ses biens, s’affronte en de vaines querelles, ou lance des ponts pour éloigner tout antagonisme… mais la foi chrétienne place devant nous l’exemple du Christ venu « afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52). C’est sur cette base que s’établit la déclaration du Concile Vatican « offrant au genre humain la collaboration sincère de l’Église pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation. Aucune ambition terrestre ne pousse l’Église ; elle ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi ». (Gaudium et Spes 3,2)
 
Dialoguer en vérité
Comme je le soulignais, cette mission interroge le sens même du dialogue. Car l’esprit du monde valorise davantage désaccords et conflits. Et on confond trop souvent le dialogue véritable avec un simple échange d’opinions, plus ou moins vérifiées. L’exigence est bien de se connaître soi-même, d’être honnête sur sa propre identité, de savoir où l’on est. Ainsi le dialogue manifeste une intention droite, celle de chercher ensemble un chemin qui mène vers le bien commun et la résolution des tensions. Cela se caractérise d’abord par la volonté d’accueillir le point de vue de l'autre. Mais il s’agit bien aussi d’échanger pour favoriser l'émergence de la vérité, une vérité qui ne soit pas seulement la dureté du fait, mais la vérité de la dignité humaine. Chacun doit pour cela refuser les manipulations et accepter l'ouverture à une vérité transcendante qui, dans le strict respect de ces présupposés d’un dialogue véritable, n’est pas incompatible avec la société pluraliste à laquelle nous appartenons. Il y a, non loin de Paris, à Bussy-Saint-Georges, une Esplanade des Religions et des Cultures, initiative qui ne cède nullement au syncrétisme mais encourage chacun à mieux connaître la foi de l’autre pour œuvrer à la paix et à l’harmonie. C’est l’exemple d’une concorde possible et du rôle essentiel que les religions peuvent y tenir. 
 
Les prochaines rencontres méditerranéennes 
Ainsi, dans quelques jours, le prochain voyage du pape François l’amènera à Marseille pour les rencontres Méditerranéennes. C’est la troisième étape de ces rencontres, initiées par la Conférence épiscopale italienne à Bari en 2020, puis à Florence en 2022. Elles ont pour ambition d’attirer l’attention sur le bassin méditerranéen et sur les cinq rives qui le bordent : Afrique du Nord, Proche-Orient, mer Égée et mer Noire, péninsule des Balkans et Europe du Sud. Je cite ici mon confrère, l’archevêque de Marseille, le Cardinal Jean-Marc Aveline qui a proposé que se tienne dans sa ville cette troisième rencontre pour poursuivre un processus de réflexion et d’action créant de la cohésion : 
« Aujourd’hui, les pays de la Méditerranée sont confrontés à des problèmes socio-politico-religieux dont l’ombre portée dépasse largement l’espace géographique méditerranéen. Je pense au conflit israélo-palestinien, aux oppositions sunnites-chiites, aux tensions entre l’Arménie et la Turquie ou entre le Maroc ou l’Algérie. Comment ne pas évoquer aussi la situation dramatique des personnes migrantes, les difficultés économiques et sociales auxquelles sont confrontées les populations de nombreux pays riverains, les menaces que fait peser sur tout cet espace le dérèglement climatique actuel, avec tous les problèmes environnementaux qui en découlent, notamment l’accès à l’eau, et encore la fragilisation des relations entre croyants de religions différentes. »
Au cours de cette semaine du 16 au 23 septembre, ce ne sont pas seulement une centaine d’évêques de tous les pays qui bordent cette mer, mais aussi des jeunes qui acceptent de parler avec eux. Parmi ces jeunes on trouvera des jeunes Israéliens et des jeunes Palestiniens, des jeunes Grecs et des jeunes Turcs, des jeunes Algériens et des jeunes Marocains, etc. Il y aura aussi quelques jeunes migrants qui prendront part aux travaux de cette réunion peu banale. 
C’est tout un processus qui veut commencer ici : il alliera la réflexion académique et théologique, la coopération sociale, culturelle et spirituelle entre les pays concernés par ces réalités de la migration, et enfin la mise en route d’une collaboration ecclésiale volontaire entre les diocèses présents sur le pourtour méditerranéen. Le pape ne vient pas à Marseille, dit le cardinal Aveline, pour qu’on le regarde, mais pour que, ensemble et avec lui, on regarde la Méditerrranée, ses enjeux, et les espérances qu’elle peut développer. Un tel espace fragmenté peut devenir une source d’espérance.
 
La dignité de chaque homme, de chaque femme
Nous partageons ici la conviction que personne n'est inutile, notamment celui qui est aux périphéries de l'existence, celui qui habituellement n'est pas reconnu. N’est-ce pas là un critère solide pour estimer la vérité d’une proposition ? Selon l’expression du pape Benoît XVI : « Chacun est le fruit d’une pensée de Dieu. Chacun est voulu, chacun est aimé, chacun est nécessaire. » Ne rejoint-on pas alors des principes universels ?
Cette conscience de la dignité de chaque individu ouvre donc la voie à une culture de la rencontre, traduction du dialogue, par un engagement personnel, sur le terrain de la vie concrète de chacun. Face à l’individualisme mortifère, ce pacte culturel peut reconnaître à chacun et à chaque groupe, y compris ethnique, une place pour construire ensemble un monde de respect. Il implique que chacun accepte d’articuler ses intérêts à la défense première du bien commun. Il exige que les structures politiques et économiques soient placées au service du bien commun, au service de tout homme, de son épanouissement durable, et non à la recherche égoïste de gains toujours plus importants mais forcément éphémères.
 
Pacte social, pacte éducatif global
En somme, la construction de la paix sociale implique en premier lieu de reconnaître en chaque homme et femme un prochain à respecter. Elle suppose donc la bienveillance que j’appelais mes compatriotes à cultiver en réaction aux violences urbaines qui ont embrasé la France au début de l’été. J’aime à souligner que cela se traduit d’abord par une admiration pour l’engagement de chacun au service de cette paix à construire : les élus locaux, les médecins de quartier, les professeurs, les travailleurs sociaux qui ne se découragent pas, les associations qui créent et recréent sans cesse le tissu social. Et j’en passe !
C’est à quoi veut s’attacher le pacte éducatif global que le pape François a proposé en pleine période de découragement lié aux confinements imposés par la récente pandémie. Ce pacte désigne sept engagements fondamentaux : la personne au centre de toute démarche éducative, l’écoute des enfants et des jeunes, la pleine participation des jeunes filles à l’instruction, la place de la famille, l’attention aux plus pauvres, la recherche du bien commun, et la protection de la maison commune 
 
Faire droit à l’humanité de chacun, indépendamment de ses origines et opinions, est effectivement une attitude essentielle de l’être et de l’agir chrétiens. Sans angélisme, il s’agit bien d’exprimer dans l’amour que nous pouvons avoir les uns pour les autres, la reconnaissance d’une commune humanité, consciente de ses différences, respectueuse de ses particularités, soucieuse d’aider son prochain dans la détresse, cherchant ardemment à surmonter toute division. L’enjeu est à cette échelle, mais nos ressources spirituelles sont bien réelles pour reconnaître et encourager les efforts là où ils se trouvent, et rendre grâce pour ceux qui les portent.