Deel Op

Christian Krieger

Voorzitter van de Conferentie van Europese Kerken (CEC), Frankrijk
 biografie

Je voudrais tout d’abord, à mon tour, remercier Sant’Egidio pour l’aimable invitation à participer à cette rencontre internationale l’audace de la paix. C’est un honneur et un grand plaisir de contribuer à cette table ronde.
En travaillant quelque peu la question de l’intégration à partir d’une perspective qui est la mienne, française dans une part, et européenne d’autre part, je me suis dit qu’en considérant l’histoire des 50 ou 60 dernières années, il faudrait inverser l’énoncé du sujet de notre table ronde. Plutôt que de parler d’une crise humanitaire et de politique d’intégration, avec un peu de recul il conviendrait plutôt de parler « de politiques d’accueil en lien avec une crise de l’intégration ». En effet, dans la seconde moitié du 20ème siècle les pays européens et notamment la France, ont eu un large recours à l’immigration pour contribuer à l’effort de reconstruction et au développement économique. Une politique d’accueil répondant à la fois à un besoin sociologique et économique. Depuis, la question de l’intégration est devenue un enjeu permanent des politiques publiques en France. Parler d’une crise de l’intégration n’est pas hors de propos. L’ampleur des émeutes que la France a connu en juin dernier, consécutives à la mort de Nahel victime de violences policières, atteste une nouvelle fois l’ampleur des tensions sociales que connait le pays, tensions qui prennent racine dans un modèle d’intégration à la française en crise.
Je voudrais à présent situer les éléments qui conditionnent la disruption entre la crise humanitaire migratoire d’une part et la crise des politiques d’intégration d’autre part.

I.    Le défi de l’intégration, éléments contextuels
Le contexte actuel représente un réel défi pour l’intégration des migrants de réfugiés.
A.    Évolution toujours croissante de la pression migratoire
En 2020, l’International Organization for Migration estimait à 281 millions le nombre de migrants internationaux dans le monde, soit 3,6 % de la population mondiale. Ce chiffre correspond à une augmentation de 128 millions depuis 1990, soit 84% (et plus de trois fois plus qu’en 1970) .
S’agissant des déplacements forcés liés aux changements climatiques : depuis 2008, 21,5 millions de personnes ont été déplacées chaque année de force à cause de catastrophes telles que des inondations, des tempêtes, des incendies ou des températures extrêmes. Les projections proposées par les institutions compétentes augmentent considérablement ce nombre. Elles estiment une progression qui va de 260 millions de réfugiés climatiques en 2030, jusqu’à 1,2 milliards en 2050)

B.    Un contexte peu favorable, voire hostile, à l’accueil de réfugiés, de migrants
En France et dans l’Europe occidentale, cette pression migratoire s’inscrit dans un contexte peu favorable à l’accueil de réfugiés, de migrants.
1)    Un contexte où les sentiments d’insécurité, d’insatisfaction et de peur, sont importants et constituent un terreau propice aux discours populistes. Ainsi, la question migratoire s’impose régulièrement comme thématique majeure des échéances électives, occultant souvent des enjeux plus fondamentaux sur le plan social, économique ou géopolitique. En France, les partis de droite rivalisent sur le terrain de l’immigration. L’enjeu est moins les justes politiques d’intégration que la lutte contre ce qu’Éric Zemmour candidat à la présidentielle de 2022 appelle le « Grand remplacement ». De fait, la pression migratoire est principalement vécue comme une menace.
2)    Les responsables politiques luttent contre l’immigration. L’UE avec Frontex tout comme les pays membres, n’écrivent pas le récit d’une Europe hospitalière. Nous sommes bien loin de l’élan universel des droits de l’humain énoncé par la convention de Genève. L’UE et ses membres écrivent au quotidien le récit d’une lutte contre la pression migratoire, cherchent à la dissuader, notamment l’immigration clandestine. Cette politique est illusoire. Pour dissuader un Africain qui n’a pas de perspective de vie dans son pays, voire qui est menacé pour son identité ou un engagement démocratique, il faudrait le traiter encore plus mal qu’il ne l’est sont dans son pays, lui offrir encore moins de perspectives qu’il n’en a dans son pays !
La France a une approche disruptive de la question migratoire. (La Fédération de l’Entraide protestante parle d’hypocrisie, d’une attitude refusant de voir certaines réalités).
• Il y a d’un côté les politiques de dissuasions qui visent :
- d’une part à décourager celles et ceux qui sont tentés par la mobilité (Frontex, sous-dimensionnement des capacités d’accueil pour réfugiés ou migrants dignes de l’accueil de personnes humaines),
- et d’autre part à dissuader celles et ceux présents illégalement sur le territoire d’y rester (non-accès au marché du travail, tolérance des conditions misérables de résidence dans le pays). On estime à plus de 600 000, le nombre de personnes sur le territoire sans doute au travail (des femmes et des hommes à la fois d’une certaine manière, tolérés et combattus).
• Et il y a de l’autre côté de cette approche disruptive, les politiques d’intégration qui se mettent en place à partir du moment où le statut de réfugié est octroyé selon les critères de la convention de Genève. (NB : en français réfugié = statut, en anglais refugie = personne ayant fui son pays). Ces politiques d’intégration sont compliquées, voire émoussées, par l’action dissuasive et notamment par le regard sur l’étranger qu’elle conforte. J’y reviendrai.
C.    Et pourtant … (trois éléments pour nuancer ce contexte)
3)    Une nuance : avec l’ère numérique, notamment avec les réseaux sociaux, l’opinion publique est devenue très volatile. En effet, les réseaux sociaux alimentent une culture de l’émotion qui globalement a remplacé la culture de la conviction ou de la pensée (également dans le tissu des membres de nos Églises).
- Souvenez-vous de l’impact de l’image du petit Aylan, migrant syrien échoué sur les côtes de la Turquie en 2015,
- ou encore de l’élan d’accueil des réfugiés ukrainiens (vus comme de bons réfugiés qui méritent notre solidarité)
Cette volatilité ou l’instabilité de l’opinion publique ne doit pas masquer le constat posé préalablement que l’hostilité à l’accueil de migrants et de réfugié est une puissante et permanente lame de fond qui traverse les pays européens.
4)    Le signe posé par les couloirs humanitaires : L’absence de politiques d’accueil, l’absence de voie migratoires sûres a poussé les Églises, en France, en Italie, à mettre en place des couloirs humanitaires pour lutter contre les passeurs et tous les abus générés. Les Églises posent en cela le signe d’une intégration possible, d’une intégration réussie. Signes (en France), numériquement insignifiants, mais symboliquement forts, car ils disent une vision, formulent un espoir, ouvrent à une espérance.
5)    Constat d’un croissant besoin de main d’œuvre dans les pays de l’Europe de l’Ouest, notamment dans les sociétés vieillissantes. L’importance de cet enjeu est bien connue en Allemagne. Le besoin est tout aussi réel en France où le ministre de l’Intérieur est actuellement porteur d’une volonté d’énoncer une nouvelle loi sur l’immigration.
NB. le droit des étrangers en France a été réformé 18 fois en 25 ans (entre 1996 et 2021), et ce nouveau texte serait la 29e loi sur l'immigration depuis 1980 avec les mêmes objectifs : contrôler les flux, intégrer les personnes, accélérer les procédures.... Aujourd’hui, le ministre envisage d’octroyer des titres de séjour pour des métiers en tension. Il souligne par là le besoin de main d’œuvre, y compris dans l’un des pays connaissant le plus fort taux de natalité en Europe.
II.    Le modèle français de l’intégration
Michaël Walzer distingue cinq types de "régimes politiques de tolérance" en Occident . Il situe la France parmi le type des États-nations, qui constitue la forme la plus courante des États. L’État-nation se définit par le partage d'une langue et d'une culture communes. Il implique "qu'un groupe dominant unique organise la vie commune selon son histoire et sa culture propres". La religion, la culture et la langue des minorités (immigrées ou régionales) peuvent s'exprimer librement dans leur sphère privée, mais la manifestation de ces particularismes dans la sphère publique sera suspectée de porter atteinte à la cohésion sociale et aux valeurs de la majorité.

Deux principes républicains fondent ce modèle.
1)    Le principe d'égalité. Tous les citoyens, quelle que soit leur origine ethnique ou religieuse, sont censés être traités de manière égale en termes de droits et d'opportunités. L’État ne connait que des citoyens, pas de groupes ou de communauté (religieuses, ethniques etc.). A ce titre, les sondages sur l’identité religieuse sont interdits (sauf exception).
2)    Le principe de la laïcité : Un principe clé en France qui a pour vocation de garantir la liberté religieuse et la liberté de conscience au moyen de la séparation de l'État des institutions religieuses et de la neutralité de l’État en matière religieuse.
La visée du modèle de l’intégration français : l’assimilation
Historiquement, la France a promu un modèle d'assimilation, dans lequel les immigrants sont encouragés à adopter la culture française, la langue française et les valeurs de la République. Les immigrants sont censés devenir d’indiscernables citoyens français. Cette visée est fondée sur l’Universalisme des valeurs de la Républiques. Tous les citoyens, quelle que soit leur origine, sont réputés adhérer aux mêmes valeurs universelles que promeut la République, et accepter les droits et devoir qui y sont liés. Cette visée à certes été critiquée, tant elle nivelle l’identité des sujets, mais elle demeure prégnante dans les orientations politiques françaises comme l’illustre l’interdiction du foulard à l’école, et tout récemment celle de l’abaya.

Moyen de l’intégration
1)    Accès à l'éducation : L'éducation est considérée comme un levier essentiel de l'intégration en France. Les enfants des immigrants ont le droit à l'éducation publique gratuite, ce qui vise à les aider à s'intégrer dans la société française.
2)    Citoyenneté : La citoyenneté française est généralement accordée sur la base du droit du sol, ce qui signifie que les enfants nés en France de parents étrangers obtiennent automatiquement la citoyenneté française à leur majorité. Cependant, il existe également des procédures de naturalisation pour les immigrants adultes.
La citoyenneté française implique également l’accès au droit de vote (1981, une proposition de François Mitterrand, réalisé partiellement pour les élections locales).
3)    Intégration par le travail : Le travail est considéré comme un moyen d'intégration essentiel en France. Les politiques visent à favoriser l'emploi des immigrants et à les aider à accéder au marché du travail.
Deux remarques pour conclure ce point
Depuis les années 2000, le modèle républicain d’intégration est dit en panne. L’opinion publique en France adhère de façon de plus en plus majoritaire à cette vision pessimiste. Selon un sondage IPSOS publié en juin 2019, seulement 17 % des Français estimeraient que l’intégration des immigrés est possible.
Il est important de noter que le modèle français d'intégration a fait l'objet de débats et de critiques au fil du temps, notamment en ce qui concerne l'assimilation forcée, les discriminations et les inégalités sociales. Certains estiment que le modèle devrait évoluer pour mieux prendre en compte la diversité culturelle et religieuse de la société française.

III.    Deux thèses

D.    Thèse 1 : l’intégration sociale sera toujours en échec, ou du moins incomplète, tant que l’intégration sociétale n’est pas atteinte.
Là où un citoyen connait le sentiment d'être étranger, d’être regardé comme un étranger, l'intégration est en échec. En effet, l’intégration sociale à elle seule ne suffit pas, il faut viser une intégration sociétale. Il convient de différencier la dimension sociale de la dimension sociétale.
-    Une politique d’intégration sociale vise à établir tous les citoyens au sein de la société. Ses moyens sont l’éducation (école de la République), le logement, le travail…
-    Une politique d’intégration sociétale vise quant à elle à changer le regard porté sur celui dont la couleur de peau, ou l’apparence, énonce une origine étrangère, quand bien même il serait de nationalité française.
Comment faire pour que l’altérité ne rime plus avec étrangeté ? Comment faire, dans une société plurielle, pour que l’altérité d’une couleur de peau ne soit plus synonyme d’étranger ? Le chemin de l'intégration réussie est celui qui fait qu'altérité n’est plus synonyme d'étrangeté.
J’ai récemment inauguré une méga church protestante en banlieue de Paris. En quelques années, une communauté paroissiale d’environ 40 000 fidèles se réunissant ou suivant le culte online tous les week-end s’est établie. Il s’agit principalement de femmes et d’hommes afropéens. C’est-à-dire dont les parents ou grands-parents ont immigré en France, qui sont nés en France et à ce titre ont acquis la nationalité française. De fait qu’aujourd’hui, leur identité s’écrit quelque part entre l’Afrique francophone et l’Europe. Ces femmes et ces hommes ont bénéficié de l’école publique, ont réussi leurs études, exercent des métiers qui permettent leur intégration sociale. Et pourtant, ils sont et elles sont toujours, au titre de leur couleur de peau, regardés comme des étrangers. Des citoyens français socialement pleinement intégrés, et non reconnu sociétalement. Elles et ils ont trouvé dans cette communauté un lieu de fierté noire, conjurant la non-reconnaissance du pays qui est pourtant le leur. L’intégration sociale n’est que la moitié du chemin, le milieu du gué. L’horizon, non seulement chrétien, ne peut être que l’intégration sociétale. C’est précisément là que réside l’économie du salut vécue par le Christ, qui n’a eu de cesse d’aller à la rencontre des exclus pour les restituer à la communauté humaine.

E.    Thèse 2 : l’intégration sociétale nécessite un changement de regard sur l’altérité. Contribuer à ce changement est notamment le rôle des communautés religieuses.
Par cette deuxième thèse, je voudrais pointer la limite des politiques publiques. Elles peuvent et doivent favoriser ce changement de regard, mais de facto ce but leur est inaccessible.
Pour que le regard sur les individus change, enjeu essentiel à l’intégration dans une société plurielle, l’action des acteurs de la société est indispensable. Je pense bien évidement aux Églises locales (puisqu’il s’agit d’une logique de proximité), aux communautés religieuses, aux associations, mouvements, clubs de sport, lieux culturels (musique, théâtre). Il est essentiel qu’existent et que se multiplient les lieux où l’on expérimente que l’autre n’est pas seulement un étranger. Quand l’autre est rencontré, qu’il est partenaire d’un projet commun, que l’amitié ou le sentiment de fraternité fissurent le mur de l’étrangeté, alors ce regard sur autrui change et il devient un prochain, celui dont je suis proche (pour reprendre le renversement fait par l’évangile de Luc dans la parabole du bon samaritain).
La Fédération de l’entraide protestante développe une logique de proximité territoriale pour l’accueil des réfugiés, en mobilisant des collectifs de bénévoles. L’action d’un réseau de bénévoles favorise non seulement la cohésion sociale, mais fait évoluer le regard porté sur le réfugié, qui n’est plus un cas abstrait, mais un visage (dans le sens d’Emmanuel Levinas). La Fédération de l’Entraide protestante propose ainsi de sortir de l’idéologie, du dogmatisme, pour montrer par l’agir, par la pratique, les possibles de l’intégration. L’action locale permet de changer le regard, et que l’altérité ne rime plus avec synonyme d’étrangeté.
Il en va de même pour les Églises là où elles développent des projets de rencontre avec les communautés chrétiennes issues de la migration. En France, on ne sait pas les nommer (“Églises ethniques” ; elles ne le sont plus. “Églises culturelles” ; toute Église est culturelle. “Églises de la diversité“). La Fédération protestante d’Italie a un tel projet “Being church together”. En France, la FPF développe un projet Mosaïc de rencontre avec ces Églises. Dans ces projets s’écrit un changement de regard, gage d’intégration sociétale, quand bien mêmes ces Églises ne sont souvent pas demanderesses.

IV.    Conclusions
Par cette contribution, je voulais montrer que la crise n’est pas nécessairement là où nous la voyons spontanément. Elle est aussi dans nos sociétés occidentales qui peinent à s’inscrire pleinement dans l’horizon développé par les droits humains et la convention de Genève.
Les Églises et les religions, acteurs d’humanité, porteuses d’un message de paix, de fraternité, de réconciliation, de justice, ont un rôle à jouer. Un rôle essentiel qui échappe aux responsables politiques, celui de travailler au changement du regard sur l’altérité, ou si vous préférez à la conversion des cœurs.